Entretemps, les exigences clients
ont évolué, les marchés aussi.
Anonyme, XXIe siècle.
Vers l’an 2032, le génitif hérité du latin avait fait son temps, au profit de l’apposition brutale à l’anglo-saxonne. Les correcteurs, ces “gros connards prescriptivistes” (source incertaine, c. 2020), avaient perdu toute influence et tout moyen de subsistance. Les traducteurs, laissés seuls en première ligne, n’avaient pas pu lutter. Ils étaient surnombrés, à un contre un million. Des traductrices, pour la plupart. Valeureuses, elles n’avaient rien pu opposer de tangible aux marketeux — qui portaient leur k central, signe de l’assimilation de l’ancienne langue latine par l’ogre germanique, comme un flambeau — ni aux journalistes, les idiots utiles de la cause. Les “de”, “du”, “des” disparaissaient dans la déplorable indifférence des masses.
Par 2029, l’usage avait fait loi. L’angliche partout vainquait. Figure de proue du combat désespéré des linguistes francophones submergés et éreintés par les assauts incessants de l’envahisseur, un certain Claude Ajège (orthographe incertaine) s’immola place Zinédine-Zidane, en plein centre de Paris, après s’être imbibé jusqu’à la glotte de whisky corn Jack Daniel’s. On dit qu’il eut ce dernier râle d’agonie, emprunté à un contemporain, popsinger anglais et militant cause végane : “And now I know how Joan of Arc felt / As the flames rose to her roman nose!” La longueur du vers rend certainement l’anecdote apocryphe, car l’élocution trop ardue.