Rien à voir avec les problèmes de race. J’ai découvert dans un vieux disque dur externe — que j’ai longtemps cru mort alors qu’il est bien vivant et contient des tas de fichiers datant d’une autre vie, juste après mon divorce, l’an de grâce 2013 — un répertoire appelé “152 biographies”, très mal nommé puisqu’il contient pêle-mêle des autobiographies de sportifs (Raymond Domenech, Zlatan Ibrahimovic), un pensum pour écoliers (Un sac de billes), des œuvres on ne peut plus littéraires (Bukowski, Calaferte, Huysmans), d’authentiques saloperies médiatiques (Anne Sinclair, Marcela Iacub, PPDA, Dupont-Moretti !) et quelques rares biographies stricto sensu, notamment celles de l’inévitable Stefan Zweig (son Érasme, son Fouché, son Magellan, etc.) et ce n’est pas de ma faute s’il faut écrire “son Machin-Chouette” pour faire écrivain sérieux, intellectuel, quand on mentionne l’œuvre d’un biographe. Intellectuel : on y reviendra.
Dans ce répertoire, donc, je tombe sur une autobiographie pas comme les autres, et bien que j’aie des milliards de trucs à faire — en fait, deux — j’ouvre le fichier intitulé Richards Keith - Life.pdf
, une somme de 1324 pages commençant sur les chapeaux de roue par le récit de l’arrestation des Stones en 1975 à Fordyce, dans l’Arkansas. Récit digne des pages les plus stupéfiantes d’Hunter Thompson, traduit avec vigueur par les confrères Bernard Cohen et Abraham Karachel, et qui narre par le menu le jet de quantités astronomiques de came dans les toilettes d’un resto à la chasse défaillante, la rage obsessionnelle d’un shérif sudiste aussi con qu’un flic (je suis le roi de la métaphore recherchée) et le verbatim stupéfiant (j’ai aussi pas mal de vocabulaire) d’une audience pénale dirigée par un juge torché au bourbon. Spoiler alert : c’est un happy ending.
J’étais parti pour ne lire que quelques pages, histoire de me faire une idée, mais quinze minutes plus tard, j’en avais lu soixante-sept. Les pages du fichier PDF sont courtes, certes : le vrai livre en contient un peu plus de 700. Mais c’est un détail : force est de constater que j’ai été happé par ce livre. La preuve, je suis en train de lire les pages suivantes, celles du chapitre 2, dans lequel Keith raconte son enfance. Croyez-moi ou non, mais je n’avais pas prévu en me levant ce matin d’apprendre quoi que ce soit sur l’enfance du guitariste des Rolling Stones. 1/ L’enfance des stars m’ennuie a priori comme la vôtre. 2/ La musique des Stones, hormis entre 1963 et 1969, m’en touche une sans bouger l’autre. Mais le livre est diablement bien écrit. Et je me rends compte à sa lecture que ce que j’aime le plus, dans ces lignes, c’est le fourmillement de détails — drôles, effrayants, techniques, géographiques, situationnels — qui leur donnent le rythme imparable de la littérature que j’aime, très souvent anglo-saxonne, et je ne sais pas pourquoi — peut-être est-ce parce que parmi les 152 fichiers que contient ce répertoire de “biographies” sur mon disque dur j’ai vu le nom d’Annie Ernaux à plusieurs reprises — en tout cas, je pense à cette spécialité française qu’est l’écriture blanche, et je me dis in petto : “Quelle merde !” Et comme je ne suis pas un intellectuel, je fonce sur Wikipédia pour confronter mes préjugés au sujet de ladite écriture blanche à une certaine forme de réalité, en l’occurrence la réalité historico-littéraire filtrée par la communauté des éditeurs de Wikipédia, ramassis hétéroclite de vrais lettrés désœuvrés, de névropathes fascistoïdes et de débiles mentaux qui par définition est le plus souvent incapable de transmettre sur quelque sujet que ce soit des informations fiables. Mais “c’est un bon point de départ pour une recherche digne de ce nom, blablabla”.
J’y suis donc. Je n’apprends rien, sinon qu’en effet Annie Ernaux — dont je dois confesser avoir aimé quelques livres quand j’étais jeune, d’ailleurs — et Bret Easton Ellis (encore un coup du névropathe, à coup sûr) sont rassemblés dans cette ô combien discutable catégorie littéraire, inventée à l’origine par l’ineffable Roland Barthes pour qualifier L’Étranger de Camus. En somme je n’apprends rien — je viens de le dire — à part que mon rejet du minimalisme en littérature n’a au fond pas grand-chose à voir avec ce que j’appelais il y a encore une demi-heure l’écriture blanche, et que j’associais surtout à une sécheresse sentimentale et une absence de passion vitale ennuyeuse jusqu’au vertige, très prisée des auditeurs maniaco-dépressifs de France Culture. À de la merde, donc.
Nous voilà bien avancés. Pour en apprendre plus sur l’arrestation des Stones en 1975 à Fordyce, sachez qu’il existe sur le web une Encyclopedia of Arkansas. On n’arrête pas le progrès. Ci-dessous, mon morceau préféré des Stones.