Aide-mémoire de crise : pas de partie 2 ?

Je me parle à moi-même, ou presque. Ce texte sera peut-être lu par trois personnes que je connais toutes (oui, a priori que des femmes).

Bref. J’ai remarqué que je remontais la pente depuis quelques jours. Je me suis mis au sport, mes vacances en Corse et en Italie approchent, et surtout l’enquête visant ma sœur à cause de ma mère s’avère comme prévu (mais c’est plus facile à dire aujourd’hui qu’il y a trois mois quand tout a démarré) un « pétard mouillé » selon les mots des policiers menant l’enquête. C’est un immense soulagement pour elle, pour son mec, pour l’ex-femme de son mec, pour le père de la petite, pour mon père et pour moi.

Reste ma rupture avec ma mère, qui, le contraire eût été surprenant, n’a pas repris ses esprits et ne s’est donc pas excusée, ni même manifestée depuis cette horrible Toussaint, à laquelle ont fait suite pour moi les pires fêtes de fin d’année de toute ma vie. J’ai touché le fond, failli me faire interner à l’hôpital de Tarbes tant je me sentais seul le 1er janvier, cru perdre ma sœur et ne plus revoir ma nièce avant son adolescence, bref je voyais tout en noir foncé, ma sœur m’ayant informé l’avant-veille qu’elle allait revoir ma mère sans paraître comprendre le mal que ça pouvait me faire qu’on accepte qu’elle m’accuse d’avoir fait subir des attouchements sexuels à un bébé ou à une petite fille (la période incriminée est semble-t-il floue pour ma mère, et ce n’est pas la seule chose qui soit floue). J’avais l’impression que G. passait l’éponge, par faiblesse. Ça me détruisait. On s’en est expliqués. Le courrier de l’aide sociale à l’enfance arrivé par la poste dès le premier jour ouvré de l’année 2022 — le lendemain de sa dernière visite à notre mère, pour la petite — a réveillé la méfiance de ma sœur et le fait d’être directement confrontée à une enquête de police n’a rien arrangé. Risquer d’aller au pénal parce que votre mère est une affabulatrice toxique n’est pas une situation qu’on peut accepter sans se défendre. Et la meilleure défense contre une telle toxicité, une fois les larmes séchées, reste encore le silence absolu.

J’ai énormément souffert depuis la fin octobre de ce silence absolu que j’ai voulu. Une partie de moi, à peine consciente, rêvait que ma mère ouvre les yeux et comprenne qu’elle avait déliré ; hélas, depuis sa prime jeunesse, ses sept ans je crois, elle a su que sa vocation était d’être psychiatre, et elle l’est devenue, ne redoublant aucune classe ni aucune année de fac en route, comme pressée de pouvoir enfin pourrir la vie de ses patients et de ses futurs enfants avec sa morale tordue dès l’origine et le pouvoir de la notabilité que la société lui conférerait. Pourquoi une enfant de sept ans peut-elle rêver de faire ce métier en 1959 ? Jusqu’ici, je n’en ai jamais eu la moindre idée ; ma mère me paraissait être une extraterrestre et je mettais inconsciemment (ça ne remonte que maintenant, en écrivant) son incompétence manifeste à « gérer » l’adolescence de ses quatre enfants sur le compte de son adolescence à elle, qu’elle nous avait vendue comme sans histoire, aussi nette du moindre grain de poussière que son salon ou sa pelouse, tondue au millimètre toutes les semaines même quand elle ne pousse plus. Ce besoin d’ordre, de propreté, je l’ai toujours perçu comme malsain, maladif ; un livre sorti de la bibliothèque et laissé sur la table basse du salon, c’était insupportable pour elle. J’avais vingt ans, pour moi un livre non rangé signifiait un livre lu, au moins feuilleté, et non pas un simple objet décoratif ; je comprenais bien qu’elle était folle sur ce plan-là, mais elle paraissait maîtriser le reste de sa vie, ses aspects logistiques en tout cas, à la perfection.

Je suis persuadé aujourd’hui que ma mère a subi des saloperies de la part de mon grand-père, comme ma tante et mon oncle. Si ma mère avait le recul nécessaire sur elle-même, et si sa compagne lui laissait le temps de respirer, peut-être que sa folie s’aggraverait brutalement, mais peut-être aussi, à l’inverse, qu’elle comprendrait d’où vient toute la merde dans laquelle elle s’est débattue et qu’elle nous a jetée à la figure en fin d’année 2021.

Mais quant à continuer les souvenirs de l’année funeste 2001, pour le moment j’en suis incapable ; je ne poserai ici que cette information factuelle : après une deuxième tentative de suicide de ma sœur — moins spectaculaire que la première, mais vrai appel au secours pour le coup — en septembre 2001, dont je rappellerai plus tard le contexte, ma mère s’est souvenue de notre discussion du mois de mars, m’a appelé et m’a demandé si j’étais prêt à accueillir ma sœur chez moi, car son seul souhait était qu’elle ne retourne pas chez mon père (où avait eu lieu la première tentative). Nous avons parlé près d’une heure au téléphone, mon ami David G. m’attendait devant son assiette au Diable des Lombards pendant que j’étais dehors. Deux ou trois jours plus tard, le 11 septembre 2001, une réunion à l’hôpital de Brive-la-Gaillarde en présence des médecins, de mes parents et de la juge aux affaires familiales (je crois) entérinera la situation. Ma sœur allait vivre avec son grand frère, qui n’en menait pas large, et qui serait accusé par sa mère vingt ans plus tard d’avoir « tout fait pour vivre avec [sa sœur] en démolissant ses parents ».

À l’époque, j’étais en train de chercher une maison ou un appartement à Toulouse et j’avais en vue un petit pavillon dans le quartier des Minimes. Brive étant sur le chemin, j’avais d’ailleurs fait une ou deux haltes chez ma mère, qui était parfaitement au courant de mon projet. Mon seul et unique but, après avoir démissionné de mon boulot chez Yahoo France et mis mon appartement parisien en location (ce qui était fait depuis juillet), était de reprendre des études de lettres à la fac du Mirail. Bref, je voulais quitter Paris et redonner un sens à ma vie en devenant prof de français plutôt que collabo de ce qui allait devenir le nouvel ordre mondial des digital overlords, comme les appelle Roisin Kiberd dans son brillant The Disconnect.

Je n’étais pas en train de préparer la venue de ma sœur quand tu m’as appelé au secours, maman. Et je ne t’ai pas démolie à l’époque ; en revanche j’ai trahi mon père en ne l’informant pas de ce qui l’attendait à la réunion à l’hôpital. Ça, il s’en souvient, et il me l’a pardonné. Il te connaît. Il sait que tu m’as brillamment manipulé.

Inutile de dire que nos souvenirs ne sont donc pas concordants, et que depuis ce mail infâme que tu m’as envoyé début novembre, je rumine une manière ou une autre de faire jaillir la vérité, quitte à bousculer ce qui te reste de connexions neuronales opérantes. Si je dois voir la police — qui veut semble-t-il m’interroger aussi dans le cadre de l’enquête sociale concernant ma petite nièce — ce seront autant de détails sur ta personnalité qui lui seront apportés.

Voir des prédateurs sexuels chez tous les hommes, jusqu’à ton fils aîné — dont tu as contribué à perturber la vie sexuelle en ne l’emmenant jamais se faire opérer d’un phimosis handicapant quand il était encore temps de le faire sans trop de séquelles psychologiques — ce n’est pas normal. Il y a un faisceau de concordance gros comme un baobab qui nous pousse tous à comprendre que tu as souffert de choses affreuses dans ton enfance et/ou ton adolescence et que tu n’as jamais voulu les affronter, te pensant « au-dessus de ça » (est-ce pour cette raison que tu n’es jamais devenue psychanalyste ?). Il y a bien des lectures qui te seraient utiles, au premier rang desquelles je pense au Traumatisme en héritage d’Helen Epstein.

De mon côté je regrette de t’avoir dit autant de choses de moi depuis toujours, de ma vie intime, relationnelle, de ma consommation de drogues, d’alcool, de mes accès de déprime, bref de mes faiblesses, car tu les as exploitées de la manière la plus immorale qui soit. Sous couvert bien sûr de cette fameuse « Loi » que tu as toujours brandie à tort et à travers quand tu ne comprenais pas qu’un ado de dix-sept ans puisse avoir envie d’une bière avec son grand frère majeur, ou que ledit grand frère ne soit pas emballé à l’idée que sa mère lui demande de « jouer [son] rôle de grand frère » en empêchant — comment, on se le demande, la vie n’est pas un jeu vidéo — son petit frère majeur depuis quatre ans de fumer du cannabis, soit la transgression la plus banale qui soit. La confusion totale des rôles et des âges… un grand classique familial, dont tu as été la principale courroie de transmission.

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