T’inquiète, paupiette

Paupiette fourrée.

L’ex-femme de ma vie – celle qui l’a hantée il y a vingt-cinq ans – disait souvent ça.

Il y avait aussi des trucs comme “Quelle heure est-il, madame Persil ?” prononcés de sa voix flûtée de petite fille à papa foireux. Elle était parfois gentiment niaise comme ça. Au lit, pas niaise du tout, et c’est elle qui m’a réellement déniaisé, d’ailleurs. Appris que je pouvais être un bon amant, disons. Rassuré sur ce point, qui est crucial, au fond. Raison pour laquelle elle m’intrigue encore, malgré le constat assez déplorable qu’après une vraie amitié assez improbable – on n’a fondamentalement rien en commun de tangible – qui aura duré presque quinze ans elle n’ait plus jamais vraiment donné de vrai signe de vie depuis 2014 et m’ait quasiment répondu par une sorte de courrier-type quand je lui ai annoncé que j’avais fait un AVC. Bref, après m’avoir souvent dit que j’étais son ami pour la vie, elle est passée à autre chose. Il faut croire que le gauchiste ténébreux et névrosé qui crachait en permanence sur le marketing – son métier ! – a fini par la lasser tout à fait.

Elle s’était choisi, après moi, un crétin millionnaire et moralement assez dubious. Sans aucun charme, mais puant le fric et la beauferie nouveau-riche. Bon. Elle l’a un peu trompé avec moi trois ans après. Retour de flamme exemplaire autant qu’éphémère. C’était la plus jolie fille qui soit, et je lui plaisais, c’était stupidement flatteur, je crois bien. Ça l’est – encore plus stupidement – toujours au moment où je ponds ces lignes.

Elle vit au bord du lac Léman, enfin je crois. Peut-être à Londres. Elle a poursuivi sa carrière de femme exécutive. C’était une amante exceptionnelle et patiente. Étrange compliment ? Non. Il faut être patiente, avec moi. Il fallait, en tout cas ! Elle l’a été. Elle a mis six semaines à me décoincer. J’avais très peur de mal faire, comme de faire mal. J’ai hérité ça de saloperies incestueuses s’étant manifestées à la génération d’au-dessus. Je le comprends maintenant, à cinquante balais. Si la jolie Clo me lit, elle comprendra peut-être quelque chose de nouveau sur les hommes coincés. Peut-être qu’elle l’avait compris dès 1998 sans oser me le dire. Elle était intelligente, c’est bien pour ça que je détestais le marketing d’autant plus fort qu’il nous piquait de la main-d’œuvre, à nous qui voulions en finir avec le “règne des commerciaux”, comme disait Ludo, ancien camarade maniaco-dépressif qui doit aujourd’hui être mort suicidé ou interné trois mois par an. Car lui aussi a perdu la partie contre cette engeance diabolique.

La seconde femme de ma vie – celle que j’ai épousée il y a quinze ans, et qui ne connaissait pas la patience – l’avait sentie, elle, cette explication possible de mon désir en berne.

J’ai écrit déjà sur elle. Je ne crois pas avoir envie d’y revenir. Avec elle, à l’inverse, j’avais presque tout en commun. Pas l’essentiel, qu’aurait sans doute permis sa patience, si elle en avait eu un peu plus que deux jours en réserve.

Allez, au pieu.

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